J’ai le plaisir d’accueillir Cléa Moulin, archéologue et doctorante en archéologie andine à l’Université de East Anglia (Royaume-Uni). Cléa rédige actuellement une thèse sur l’occupation pré-inca du site Tambo Colorado au Pérou (Page Facebook du projet). Elle a participé à de nombreuses fouilles et est bien sûr incollable sur les mythes incas. Elle nous les explique dans cet article. Merci beaucoup Cléa !
(Retrouvez davantage d’informations sur Cléa Moulin en bas de cet article).
Les Incas ont formé le plus grand empire des Amériques. Même si leur règne fut relativement court (moins d’une centaine d’années), ils marquent encore aujourd’hui nos esprits. Tout d’abord pour les constructions massives qu’ils ont réalisées, dont l’exemple le plus connu est le Macchu Picchu mais aussi parce qu’ils étaient au pouvoir lors de la conquête par Francisco Pizarro et son armée de l’actuel Pérou. Ce qui fait d’eux une des civilisations précolombiennes les plus documentées.
Grâce à l’archéologie et aux écrits des conquistadores (chroniqueurs) on connait aujourd’hui beaucoup de choses sur l’empire inca, notamment la mythologie inca. Les incas n’avaient pas de système d’écriture comme nous connaissons – les khipus seraient un moyen de communication utilisé par les incas. Toutefois des chroniques écrites, en majorité par des prêtes venus imposer la foi catholique mais ils existent aussi des écrits par des chroniqueurs indigènes, recueillent les croyances des habitants. C’est ainsi qu’on connait aujourd’hui les différents mythes incas.
Pour cet article, j’ai simplifié au maximum les mythes afin de rendre leur compréhension plus facile. Je donne à la fin de cet article différentes publications en français et espagnol pour connaitre plus en détail toute la mythologie inca.
Les mythes des âges du monde
Une notion très importante dans le monde andin est le cycle de création et destruction. Il existait selon les Incas une succession de cinq âges. Chaque cycle durait mille ans. D’après le chroniqueur Guaman Poma de Alaya, le premier âge est celui de l’obscurité : où les gens avaient une technologie rudimentaire, utilisaient des matériaux végétaux pour fabriquer des vêtements.
S’en suit le second âge, peuplé par une race humaine plus avancée où les vêtements étaient faits à base de peaux animales, avaient des notions rudimentaires d’agriculture et étaient pacifiques. Leur dieu créateur était Viracocha. Cet âge s’acheva avec un déluge.
Le troisième âge est celui des civilisations plus complexes avec des vêtements avec des laines teintes, pratiquaient l’agriculture. C’est aussi le début des conflits et des guerres. Pachacamac était vénéré comme le créateur de cet âge.
Le quatrième âge voit le monde divisé en quatre parties. Les guerres s’intensifient, les gens vivent dans maisons en pierres protégées par des fortifications.
Enfin le cinquième âge est celui des Incas ou du Soleil. C’est l’époque de la royauté, de l’organisation religieuse de l’Empire. Cet âge prit fin avec la conquête espagnole. Après la conquête il y eut plusieurs mythes autour des Incas dont l’une des caractéristiques principales était le retour des Incas comme dirigeants du monde andin et la disparition du monde en place depuis l’invasion espagnole.
Le mythe de la création
Comme beaucoup d’autres cultures à travers le temps et l’espace, les incas avaient un mythe consacré à la création du monde. Il existe de nombreuses variantes de ce mythe. Juan de Betanzos et Bernabé Cobo sont les deux chroniqueurs sur lesquels je me base pour raconter cette version du mythe de la création.
Autour du lac Titicaca (actuel frontière naturelle entre le Pérou et la Bolivie), le dieu Viracocha émergea du lac et créa la première race humaine. Cette première race est identifiée par certains comme des géants. Ils attirèrent la colère de Viracocha qui mit un terme au premier âge avec un déluge. Il créa ensuite une autre race humaine qu’il façonna en utilisant la pierre- encore malléable des bords du lac. Viracocha fabriqua des figures d’enfants, de femmes (enceintes ou non) et d’hommes. Il fit également venir le Soleil, la Lune et les étoiles d’une île sur le lac Titicaca. Les Incas avaient des lieux de pèlerinage sur une île du lac qu’ils appelaient île du Soleil (elle est actuellement toujours appelée « isla del sol » et se visite depuis la ville bolivienne de Copacobana au bord du lac Titicaca). Dans la version du mythe de Cobo, Viracocha donna également les vêtements, la langue, les chants et les mets et semences que chaque nation allait utiliser.
Lire aussi : « Apprendre l’espagnol grâce au Día de los muertos »
Les mythes d’origine de l’État inca
A une trentaine de kilomètres au sud de Cuzco, dans un lieu nommé Pacaritambo, se trouvait une montagne dont le nom est Tambo Toco (maison à fenêtres) et qui avait trois grottes. Par la grotte (ou fenêtre) centrale sortirent quatre frères et quatre sœurs, les ancêtres des Incas. Dans les fenêtres latérales vivaient deux nations différentes et alliées des incas. Les hommes et femmes qui sortirent de la fenêtre centrale, allaient par couples :
- Ayar Manco Capac et Mama Ocllo
- Ayar Auca et Mama Huaco
- Ayar Cachi et Mama Ipacura/Cura
- Ayar Uchu et Mama Raua.
Dans des versions du mythe écrites par Guaman Poma de Ayala et Martin de Murua les ancêtres des Incas voyagèrent depuis le lac Titicaca et non depuis Pacaritambo.
Les ancêtres incas accompagnés des nations voisines se mirent en marche pour aller à la recherche d’une terre fertile. Ils firent le vœu de conquérir le peuple qui vivrait sur cette terre fertile. Leur voyage les emmena vers Cuzco. Le trajet se fit avec plusieurs arrêts : le premier arrêt permit à Ayar Manco et sa sœur de concevoir un enfant. Le second trajet, celle-ci donna naissance à leur enfant (Sinchi Roca, qui sera le successeur comme second roi de Cuzco). Sur le trajet ils se débarrassèrent également de Ayar Cachi qui était un fauteur de troubles.
Le restant de la troupe, se dirigea vers Cuzco. Ils gravirent la montage Huancauri et virent la vallée de Cuzco. Après avoir lancé une barre en or dans la vallée pour tester le sol, la barre s’enfonça dans le sol et un arc-en-ciel apparu au-dessus de la vallée. Les ancêtres y reconnurent le signe que cette vallée était la terre fertile qu’ils cherchaient. J’interprète cette vallée comme la « Valle Sagrado » ou la vallée Sacrée.
Ils décidèrent de descendre en vue de la vallée quand le plus jeune frère Ayar Uchu fut transformé en rocher. Ce rocher fut plus tard vénérer par les Incas comme une huaca (mot quechua utilisé pour parler d’un objet ou endroit sacré, par exemple des montagnes, des pierres, des rivières mais aussi des temples peuvent être des huacas).
Avant d’entrer dans Cuzco, Mama Huaco frappa à la fronde un homme et le tua. Elle sortit de sa poitrine ses poumons et les fit enfler en soufflant dedans. Elle montra les poumons à la population de Cuzco, celle-ci s’enfuit. Alors les ancêtres purent entrer dans la ville.
Ils allèrent alors voir Alcavicça qui dirigeait la ville et lui dire que leur père (le Soleil) les envoyait. Le dirigeant de Cuzco et son entourage leur laissèrent la place. Manco Capac (le frère ainé) sema alors le premier champ de maïs dans la vallée avec des semences qu’ils avaient ramenées de Tambo Toco.
Mama Huaco mourut et son corps fut momifié et embaumé. Son corps fut vénéré notamment en produisant de la chicha (bière de maïs). Le culte des morts était très important pour les Incas. Les chroniqueurs espagnols disent que les Incas vénéraient dans un temple à Cuzco les rois et reines Incas morts.
Ayar Auca, le seul frère restant à part Manco Capac, fut transformer en pilier de pierre à l’endroit qui deviendrait le centre de la ville de Cuzco. Il fut vénéré comme une huaca. Les survivants créèrent la ville de Cuzco. Manco Capac devint le premier roi Inca suivit par son fils Sinchi Roca et onze autres rois après lui. Le dernier roi Inca étant Atahualpa.
Il existe beaucoup de versions de ces mythes et ils existent également de nombreux autres mythes Incas mais aussi d’autres civilisations précolombiennes du Pérou. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous recommande vivement de lire Mythes Incas de Gary Urton qui me sert de base pour cet article.
De plus, voici une liste non exhaustive de livres en français et espagnol sur les Andes précolombiennes :
- Les Andes. De la préhistoire aux Incas, Danièle Lavallée, Gallimard, 1985.
- Les Incas, peuple du Soleil, Carmen Bernand, Gallimard, 1988.
- Nueva Cronica y buen gobierno, Guaman Poma de Ayala, 1615-1617 (le lien du manuscrit original http://www.kb.dk/permalink/2006/poma/info/en/frontpage.htm il existe aussi des versions commentées du manuscrit).
- Les Civilisations précolombiennes, Alain Dupas, Hachette Jeunesse, 2002.
- Historia general del Perú, Martin de Murua, édité par Manuel Ballesteros Gibrois, 1962-1964
- Andes Précolombiennes, Andine Gavazzi, 2010
Cléa Moulin : archéologue et doctorante en archéologie andine à l’Université de East Anglia (Royaume-Uni). Elle a participé à des fouilles archéologiques à Uppakra en Suède puis à San José de Moro sur la côte nord du Pérou et depuis 2014 elle travaille sur le site de Tambo Colorado. Elle est passionnée par les voyages et aime partager ses expériences et connaissances avec les autres. Elle a fait une licence en histoire de l’art-archéologie à l’université de Lyon 2, master à l’université de Lund en Suède en archéologie et un échange de 6 mois à la PUCP au Pérou.
Encore mille mercis pour ce partage. Si vous avez des questions à poser à Cléa, n’hésitez pas à le faire dans les commentaires !
[…] Lien : https://espagnol-pas-a-pas.fr/tout-comprendre-aux-mythes-incas/ […]
Bonjour,
et merci beaucoup à Cléa et à Karim de nous faire partager toutes ces merveilles.
Je me permets juste de signaler quelques erreurs de français dans l’ article (toujours plus faciles à voir quand on est pas l’ auteur du texte!! :-))
« ils existent également de nombreux autres mythes »
« Le culte des morts étaient très importants »
» Ayar Uchu fut transformer »
Hasta pronto!
Alice
Hola Alice,
Merci beaucoup pour ces remarques ! Ces coquilles…
Gracias !!
Merci pour ce beau voyage en attendant que je le fasse, mais j’ai un petit faible pour la civilisation pré-inca de Tiwanaku .
ce lieu m’intigue comme m’ont intriguées les découpes de pierre dans le granit du temple jouxtant le sphinx.
en voyant la culture inca et la précision de leur architecture dans le jointage des pierres et leur connaissances hydrauliques on se demande comment cela se fait qu’ils n’aient pas de roue.
Etait ce interdit religieux?
merci à Karim de nous avoir fait connaitre une passionnée comme Cléa ,à qui on souhaite une excellente note à son doctorat
Que je sache, ce n’était pas un interdit religieux. Je pense que la roue n’était pas utilisée car un peu inutile, dans les montagnes, les chemins sont souvent très étroits et plus adaptés à des animaux comme le lama, dans la jungle avec la végétation c’est pareil.
Je ne connais pas en détails la civilisation Tiwanaku mais elle est en effet fascinante.
Merci pour les encouragements.
Très intéressant article sur la civilisation ,très bien expliqué .Merci Cléa.
Tout à fait ! Merci beaucoup Cléa 😉 Et merci à toi pour ce commentaire !! Hasta pronto espero
Merci pour ce beau voyage à travers le temps et l’Amérique du sud !
De nada Xavier 😉 Hasta pronto
Hola
Super ce nouvel article. Très intéressant. J’ai adoré. Gracias a vosotros dos.
Buenos dias.
Merci beaucoup Agnès et Denis pour le commentaire, et merci Cléa pour ce bel article !